Accusations russes contre Nouakchott : la Mauritanie prise pour cible dans la guerre de l’information

Le 22 août, l’universitaire camerounais Franklin Nyamsi relayait sur ses canaux en ligne des affirmations explosives : selon l’agence russe TASS, l’Ukraine ferait transiter drones et armes par la Mauritanie à destination de groupes terroristes sahéliens. En cause, l’ambassade d’Ukraine à Nouakchott, qui aurait servi de “base arrière” logistique. Une accusation grave, qui fait écho aux propos de Moscou et de ses relais en Afrique. Mais derrière la rhétorique, les preuves manquent. Décryptage.
Une “révélation” sortie des officines pro-Kremlin
À l’origine, un entretien accordé à TASS par Alexandre Ivanov, patron de la “Ligue des officiers de sécurité internationale” (COSI), une structure considérée comme proche du groupe Wagner. Selon lui, des “instructeurs ukrainiens” opéreraient au Mali, au Soudan et au Burkina Faso, tandis que du matériel militaire transiterait via les ambassades ukrainiennes, notamment celle de Nouakchott. La frontière mauritano-malienne serait décrite comme une zone de passage pour des drones Mavic 3 destinés à des groupes jihadistes.
Ces déclarations ont immédiatement été reprises par la galaxie médiatique pro-russe – RT, Sputnik et de multiples relais panafricanistes. Franklin Nyamsi, figure connue des débats politiques en ligne, en a tiré une conclusion radicale : “La Mauritanie est bel et bien aujourd’hui une base arrière du terrorisme au Sahel”.
Une source loin d’être neutre
Ivanov n’est pourtant pas un expert indépendant. Ancien représentant de Wagner en Centrafrique, il est un acteur de l’appareil d’influence russe en Afrique. Ses propos s’inscrivent dans une stratégie de communication : retourner contre Kiev les accusations souvent adressées à Moscou d’alimenter les conflits africains. À ce jour, aucune source indépendante – ONU, ONG spécialisées, services occidentaux – n’a confirmé l’existence de livraisons d’armes ukrainiennes via Nouakchott.
“On est dans une bataille de récits”, souligne un diplomate africain basé à Addis-Abeba. “La Russie tente de convaincre ses partenaires que l’Ukraine est un acteur déstabilisateur en Afrique. C’est exactement la rhétorique qu’on retrouve dans cette affaire.”
Un contexte déjà inflammable
Ces accusations interviennent dans un climat tendu. En 2024, Le Monde avait révélé l’usage de drones de conception ukrainienne par les rebelles touaregs au Mali. Bamako, soutenu par Moscou, avait rompu ses relations diplomatiques avec Kiev, accusant ce dernier d’aider les insurgés. Les juntes du Mali, du Burkina et du Niger avaient même saisi le Conseil de sécurité de l’ONU, parlant de “soutien au terrorisme international”.
Kiev a fermement démenti, évoquant une manipulation russe. Les rebelles maliens eux-mêmes affirmaient s’être procuré ces drones sur le marché noir libyen. Rien ne permet donc d’affirmer que l’État ukrainien ait orchestré une filière vers le Sahel.
La Mauritanie, plutôt bastion de stabilité
Présenter Nouakchott comme complice du terrorisme paraît encore plus fragile. Depuis une décennie, la Mauritanie est citée comme l’un des pays les plus stables du Sahel, ayant réussi à contenir les attaques jihadistes sur son territoire. Son armée a sécurisé les zones frontalières, et le pays joue un rôle de médiateur régional, entre Mali, Niger et partenaires internationaux.
Si l’ambassade d’Ukraine à Nouakchott existe bel et bien, elle s’est jusqu’ici illustrée par des actions diplomatiques classiques : distribution d’aide humanitaire aux réfugiés maliens, ouverture à des programmes de formation pour militaires mauritaniens, selon l’envoyé spécial ukrainien Maksym Subkh. Rien n’indique un usage clandestin de ces structures. L’Ukraine a d’ailleurs supervisé la distribution de plus de 1 400 tonnes d’aide alimentaire aux réfugiés maliens installés dans le camp de Mbera.
“Le pays subit la pression de la géographie : 2 200 km de frontière désertique, difficile à contrôler. Mais son gouvernement est plutôt perçu comme un allié fiable dans la lutte antiterroriste”, explique un chercheur basé à Dakar.
Pourquoi viser Nouakchott ?
Pour Moscou, la Mauritanie représente un enjeu géopolitique particulier. Membre du G5 Sahel, alliée des États-Unis mais aussi interlocutrice de la Russie, elle cultive une position de neutralité. Contrairement au Mali ou au Burkina Faso, Nouakchott ne s’est pas alignée sur Moscou. S’y ajouterait un “soft power” ukrainien jugé gênant : l’ouverture d’une ambassade et la proposition de coopérations militaires symbolisent une volonté de Kiev d’exister en Afrique.
Accuser la Mauritanie de servir de hub terroriste revient donc à ternir son image internationale et à dissuader ses voisins de renforcer leurs liens avec Kiev.
La guerre de l’information, nouveau front sahélien
Au final, l’épisode illustre la montée en puissance d’un front informationnel en Afrique. La Russie cherche à y imposer son récit, en accusant ses adversaires de ce dont elle-même est régulièrement accusée : mercenariat, manipulations et livraisons d’armes.
La Mauritanie, qui a bâti sa réputation de “bastion de stabilité” dans le Sahel, se retrouve aujourd’hui instrumentalisée dans une guerre de propagande qui la dépasse. Ni preuves, ni indices tangibles ne viennent corroborer les accusations relayées par Franklin Nyamsi.
Pour Nouakchott, l’enjeu est clair : maintenir son cap de neutralité et protéger une image de partenaire fiable dans la lutte antiterroriste. Car au-delà des polémiques, c’est bien sa crédibilité régionale qui est visée.